En attendant

Tout est prêt, il ne reste plus que à attendre le bon créneau horaire.
Plutôt que de continuer à tourner en rond, elle amène son cafard dans ce qui lui sert de gymnase.
Méthodiques, rythmiques, ses poings frappent le sac.
Elle refuse de lâcher bride à ses émotions, les contrôlant, refusant qu'elles prennent la main.
C'est bien d'elle d'accumuler les tensions, d'ajouter une crise existentielle au reste de sa vie.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, pourquoi se contenter d'un orage quand on peut avoir une tempête?
Enfin, au moins, cette fois-ci n' a t elle pas à se préoccuper du fouet de Grendel ou d'autres badineries de ce genre.

Un claquement plus sec, plus violent la rappelle à elle.
Con-trôle...
Si elle veut s'en tenir à son programme, elle doit se contrôler.
Hors de question de laisser toute son énergie sur ce sac, hors de question de sortir d'ici les mains sanguinolentes d'avoir trop frappé trop fort.

Dios, que c'est tentant pourtant...
De même que hurler sa rage, sa frustration, son incompréhension...
L'impression d'avoir été flouée d'une discussion, d'une conclusion...
Non-réaction à une fin de non-recevoir pour une non-présence.
Grognement sarcastique.
Remarque, si, il a réagi à sa lettre. Il n'a jamais été aussi présent depuis des mois.
Indifférent? Soulagé?
Aucune idée...
Pas un mot, rien.
Elle grince des dents au souvenir.
Elle est partie du bunker syndical plus tôt que prévu. Impossible de continuer à maintenir une façade, encore moins sereine.
Sa nonchalance sereine de dandy, son flegme de lord britannique allait la rendre cinglée.
Impossible de savoir si c'était réel ou si ce n'était que un masque affecté.
Impossible de savoir si elle en était soulagée ou ulcérée.
Chagrinée sans l'ombre d'un doute.
Et l'ombre de la culpabilité qui rôde ne l'aide pas.
Ça, elle l'a tu.
Pas envie de partager, d'expliquer...
Remarque, ça l'aurait peut être amené à réagir, ça, peut-être...

Elle se morigène.
Pas de place pour la mesquinerie même si la tentation de faire mal est tentante.
Aucun d'eux trois ne mérite ça. Enfin, si, peut être bien, elle.
Coups qui redoublent sur le sac avant qu'elle ne se reprenne enfin.
Il faudrait que un jour, elle arrête avec l'auto-flagellation.
Ça ne lui ferait pas de mal de s'administrer un peu de la compréhension dont elle use avec les autres.
Enfin, peut être pas quand elle surprend ses pensées à flâner encore une fois autour d'un enfant du désert et se remémorer des noisettes avec une intensité suspecte.

Elle bloque ses pensées.
Enfin, essaie...
Dérailler le train de ses pensée, vite...
Soupir défaitiste...
Un jour, un jour, elle arrivera à se comprendre elle-même et ses sentiments contradictoires.
Un jour...