Vert comme...

Pensive, Khala suivait les jeux de lumière que reflétaient l’émeraude nichée au creux de sa main. Kaléidoscope éphémère dans un camaïeu de verts.
La pierre pesait lourd dans sa main, plus que elle ne l'aurait due, aussi lourd que la fatigue accumulée au cours de ces derniers mois, que l'abattement devant tant d'efforts vains, l’écœurement devant les agissements de certains, la solitude glacée de son bunker déserté, la tentation de la légèreté et la culpabilité d'y avoir pensé.
Les ambres quittèrent les reflets sur le mur pour se poser sur la pierre précieuse. Elle ne devrait pas la garder, aurait déja du la rendre. La jeune femme avait beau savoir le cadeau sans arrière-pensées, elle ne pouvait s'empêcher de culpabiliser. L'impression d'entendre une vieille femme lui murmurer " Chica, seules les femmes de rien acceptent des cadeaux de valeur de la part d'hommes qui ne sont ni leur père, ni leur mari."
Grognement agacé qui monte de sa gorge. Certains conditionnements socio-culturels ont la vie dure, difficile de se débarrasser aussi facilement de ses propres préjugés. Elle qui pleurait parce que elle n'avait aucun souvenir d'"avant" se serait débarrassée avec plaisir de ses réminiscences inopportunes.
Elle était si belle, si pleine de possibilités pourtant...

Elle fit passer la pierre sur le dos de son autre main, testant une position, un effet.
Pas une bague, elle n'avait aucun gout pour les bagues énormes et criardes et il aurait été dommage de scinder si belle gemme.
Pas de pendentif, non plus. Une telle pierre est faite pour se nicher au creux d'une gorge opulente et elle savait ne pas disposer d'assez de volume pour que l'effet soit optimal.
A moins que un torque ou un bijou de main...
Les idées commençaient à se presser dans sa tête. Khala reposa la pierre sur la table basse et prit son PDA sur lequel elle commença à jeter des idées en vrac. Un métal chaud tel le bronze pour adoucir la froideur cristalline et rehausser le vert...

Parce qu'il lui arrive d'être obstinée, voire obsédée par une idée, la voila de nouveau plongée dans le monde merveilleux de la métallurgie.
Plus elle en apprend sur le bronze, plus elle voit d’avantages à cet alliage plutot que le cuivre pur dont ils ont fait leur ordinaire.Augmentation de la résistance et de la ductilité, de la résistance face à la corrosion, conductivité électrique.
Oui, plein d'avantages, en effet pour tout autant d'usages. Le champ des possibilités a de quoi faire tourner la tête dès que l'on a un peu d'imagination et de fantaisie. La pointe de la tresse est tortillée, entortillée tandis qu'elle passe avec délice des bijoux aux armes, des engrenages aux instruments de musique, du futile à l'utile, de l'indispensable à l'inutile.
La jeune femme se remémore une conversation qu'elle avait eu, il y a longtemps de ça.
Son interlocuteur et elle s'interrogeaient sur la viabilité d'une société où l'art était inexistant. Elle était tenante de la théorie selon laquelle une civilisation basée uniquement sur la survie est destinée à s'étioler, péricliter et disparaitre. L'art est la culture, sans art, sans culture, l'humain régresse. Quand le beau est méprisé, la société est en danger.

Ses doigts volent sur les touches du clavier tandis que les notes s'entassent sur son voxpad. En désordre, comme toujours. Elle amoncelle ébauches d'idées, amorces de méthodes, cheminements scientifiques, bribes philosophiques. Toujours et avant tout. Elle n'a pas la rigueur d'un scientifique, juste un désordre savamment organisé, un esprit qui fonctionne par paliers. Quand il aura suffisamment à moudre, alors, elle pourra se concentrer.

Même courte, sa sortie en bet l'a rasséréné. La beauté austère et pourtant grandiose des paysages martiens a toujours cet effet-là sur elle. Tandis qu'elle se débarrasse de son équipement, son regard est attiré par les reflets de l'émeraude. Avec un sourire, elle la caresse du doigt et se replonge dans ses recherches.
Elle laisse de coté le laiton et le billon, zinc et argent n'étant pas des plus florissants. Parce que il faut toujours un plan B, elle se garde de coté l'idée d'un alliage- aluminium-cuivre, toujours utile et facilement reproductible.
L'étain n'en reste pas moins une gageure. Il ne se trouve pas sous les sabots d'un cheval, surtout que ledit équidé brille par son absence.
Sourire qui s'élargit. L'utilisation principale de l'étain est la facture de tuyaux d'orgue. Orgue qui la ramène à Jericho. Elle veut y voir un signe.
Elle se replonge dans sa documentation avec un enthousiasme renouvelé.
A force de fouiner, elle entend parler d'un procédé de recyclage à base de soude. Procédé qui serait alléchant si on trouvait de la soude.
Et puis, d'abord, que pourrait on recycler?
Les monnaies... Elles contiennent souvent un faible pourcentage d'étain. C'est une piste mais ce en sera pas suffisant.
Le fer blanc... Si utilisé pour les boites de conserve. Oui... Là, ça commence à devenir intéressant.

Elle se laisse aller contre le dossier de son fauteuil, tresse impitoyablement tiraillée tandis que son cerveau cogite sur les trois aspects du problème: soude , monnaie, fer blanc.
Il doit être possible d'en tirer quelque chose...
Elle commence à entrevoir une direction possible. Il faudra procéder par tâtonnements et ajustements, mais ça reste du domaine du possible.
Fiévreusement, elle dessine schéma sur schéma, axes de réflexion
https://www.dropbox.com/s/lm88dy2ygqvdpzp/Etain2.jpg